Interview avec le syndicaliste et militant Mounir K.

Interview avec le syndicaliste et militant Mounir K. (UGTT, union générale des travailleurs tunisiens) sur la révolte tunisienne et la situation actuel. Une traduction élaguée en allemand sera imprimer dans le prochaine numéro du journal «Aufbau».

HINWEIS: Interview mit Mounir K. der militanten Massengewerkschaft UGTT (Union tunesischer ArbeiterInnen) über die Vorkommnisse und die aktuelle Situation in Tunesien. Eine gekürzte Übersetzung ins Deutsche wird in der nächsten Print-Ausgabe der Zeitung «Aufbau» erscheinen.

Comment était le système (économique et politique) de Ben Ali ?

La Tunisie est un pays semi colonial, d'autres disent que c'est pays dépendant car la prétendue indépendance de 1957 a installé le néocolonialisme. Ben Ali a usurpé le pouvoir par un coup d'état blanc en brandissant l'argument de la légitimité constitutionnelle. C'est un militaire qui a conduit et dirigé la répression dans le pays avant même le 7-11-1987, date de son coup d'état. il a réprimé la grève générale du 26 janvier 1978 qui s'est transformée en insurrection, puis la révolte du pain 1984-85, le mouvement syndicale et étudiant. A son accession au pouvoir, il a promis le changement et l'ouverture sur l'opposition, mais cela n'a pas duré puisque une fois installé dans le palais de Carthage, il a renforcé son arsenal militaire et policier et a éliminé progressivement toute opposition si docile soit elle (procès des syndicalistes affiliés à l'UGTT [union générale des travailleurs tunisiens], procès des étudiants de l'UGET [syndicat des étudiants], procès des islamistes, interdiction de la ligue des droits de l'homme…). Son parti le RCD (rassemblement constitutionnel démocratique) s'est accaparé la scène politique.

Sur le plan économique, il applique à la lettre les directives du FMI, (plan de restructuration,) qui prônent la privatisation du secteur publique, la libération des prix, le gel des salaires, le travail intérimaire, il signe un contrat de partenariat avec UE et la Tunisie devient le paradis fiscal avec une main d'oeuvre qualifiée mais presque gratuite puisque le SMIG est de 110 euros le mois. Le chômage atteint 24% il touche aussi les jeunes diplômés de l'université surtout dans les specialités dont la marché n'a pas besoin.

Les medias en Europe ont dit  que la révolution / révolte en Tunisie était faites par les étudiants « petit » bourgeois. Est-ce que cette impression est correcte?

C'est une insurrection spontanée, populaire et violente, elle est l'aboutissement de plusieurs luttes, surtout l'insurrection du bassin minier en 2008 au sud ouest qui a duré plus que 6 mois (janvier-juin), cette révolte déclenchée à la suite de l'immolation de med bouazizi est sans direction politique, elle est populaire car elle a drainé toutes les couches sociales: les chômeurs d'abord les ouvriers et paysans pauvres, puis les artisans, étudiants et agents de la fonction publique et même les professions libérales, comme les avocats ,médecins etc. Elle est violente car les "insurgés" surtout les jeunes chômeurs ont brûlé d'après les statistiques du ministère de l'intérieur 85 postes de la garde nationale, presque tous les postes de police dans les quartiers populaires, tous les locaux du RCD parti au pouvoir, ont pillé les grandes surfaces (carrefour, géant) et les monoprix sans oublier quelques banques. Cette insurrection qui a mis le feu au poudre dans plusieurs pays arabes, n'a rien avoir avec "le jasmin" d'ailleurs il n'y a pas de jasmin en décembre et les étudiants sont en vacances d'hivers

Ces insurrections arabes ont démontré que la contradiction entre les impérialistes et leurs laquais d'une part et les travailleurs et peuples opprimés d'autre part n'est point atténuée mais plutôt aiguisée à la suite de la politique décrétée par le FMI et la banque mondiale responsable de la pauvreté des peuples, du chômage, et de tous les maux qui rongent la société semi coloniale. Ces insurrections ont prouvé encore une fois que les semi colonies sont des foyers de la révolution, foyer où se concentrent les trois contradictions qui régissent le monde. Ces insurrections ont également démontré sans équivoque que le peuple peut être maître de soi, peut prendre son destin en main et dicter ses lois; c'est lui qui écrit l'histoire, contrairement aux allégations impérialistes et réactionnaires qui glorifient le rôle de l'individu. Mais ce peuple sans avant-garde révolutionnaire ne peut rien changer, pire encore, il se sent meurtri en voyant sa révolte kidnappée, son pouvoir usurpé par la réaction et les opportunistes de tout bord.

On a entendu beaucoup parler de la « révolution de facebook » : Quel rôle ont joué les nouveaux medias ? Est ce que vous avez aussi développé les formes d’organisation « réelles » comme les conseils du peuple ou leurs rassemblements ?

a) Facebook: certains milieux gonflent le rôle de FB, mais les acteurs de l'insurrection depuis le 17 décembre jusqu'au 14 janvier, sont bel et bien les jeunes qui n'ont ni ordinateur ni Internet. En revanche FB a joué un rôle non négligeant dans la mobilisation pour l'occupation de la place kasba –place du premier ministère- ce mouvement de masse organisé en deux temps, kasba1 qui a obligé le premier ministre de Ben Ali à procéder à des remaniements dans son gouvernement provisoire et kasba 2 qui a fait tomber le premier gouvernement provisoire et a ramené un vieux loup du temps de Bourguiba, Beji kaid Essebsi, 85 ans premier ministre provisoire qui a accepté les doléances du mouvement et essentiellement l'élection d'une assemblée constituante

b) comités populaires: des comités de quartiers, de rues et de villages se sont formés partout d'une manière spontanée et volontaire pour se protéger des milices envoyées par le pouvoir afin de terroriser la population. Ces comités populaires ont fait preuve d'une solidarité sans précèdent et ont montré que le peuple malgré ses différences peut s'unir contre l'ennemi commun, les milices, la police et les snipers qui ont tué bon nombres d'innocents (entre 380 et 420, chiffre officiel), seuls les militaires pouvaient passer les barricades sans être fouillés, et cela a duré presque un mois. Cette résistance populaire a obligé le pouvoir à repenser sa tactique et pour démobiliser les comités il a retiré la police et les militaires ont pris la situation en main avec prudence car les comités populaires ont continué à veiller jusqu'au matin dans les quartiers les plus chauds, armés de gourdins, de couteaux et de pierres…

c) comités de protection de la révolution: ces comités sont formés essentiellement de syndicalistes et de militants des partis politiques ou organisations de la "société civile" ces comités ne sont pas issus d'un mouvement de masse, n'ont pas été élus, en plus c'est un amalgame qui rassemble la gauche, les frères musulmans, RCD non déclaré, ces comités ont prétendu défendre la "révolution" mais la majorité de ses composantes ont rejoint dés la première proposition la "haute instance pour la réalisation des buts de la révolution, pour la reforme politique et la transition démocratique" cette haute instance nommée au début par Ben Ali, est composée maintenant de représentants quelques partis politiques, de la société civile, 70" personnaliés nationales" et représentants de 12 gouvernerats.

Quel rôle ont joué les islamistes dans cette révolution ?

Les islamistes n'ont joué aucun rôle dans l'insurrection au contraire ils étaient absents, pas un seul slogan musulman n'a été entendu, ils se sont montrés après la fuite de Ben Ali et surtout après l'arrivé de R. Ghannouchi, exilé à Londres. Ils ont commencé à être actifs avec l'occupation de la Kasba2. Ils sont représentés dans la haute instance et se sont retirés pour faire pression. Ils ont reçu des dons de Katar, de Turquie et d'Arabie saoudite, ils organisent des meetings et distribuent de l'argent au vu et au su de tout le monde. Ils ont une base populaire surtout que les mosquées ne manquent pas en Tunisie. Ils représentent un réel danger, d'abords parce que le peuple est musulman, ensuite parce qu'ils ont plein d'argent et surtout ils sont soutenus par qq monopoles impérialistes et par la réaction arabe. Leur cheval de bataille c'est la femme qui doit rester à la maison, la polygamie, interdite par la loi tunisienne, le port du voile et du nikab (bourka) et l'application de la chariaa-loi coranique.

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Quel rôle ont joué les sociaux démocrates et l’opposition (radicale) de gauche ? Esq il y a une opposition de gauche / révolutionnaire remarquable et avec quelle position / revendications ?

Il y a maintenant 102 partis légaux: le RCD est dissout mais il s'est reconverti en 44 partis neo-RCD, dont la moitié a formé une coalition pour la république, 12 autres partis d'obédience social démocrate ont formé le pole pour la modernité, il y a 11 partis qui sympathisent avec "ennahdha", les islamistes, 10 partis tendance nationaliste: nasséristes,(Naser d'Egypte) baathistes irak., baathistes Syrie… 11 partis de gauche dont certain ont rejoint le pole pour la modernité, le reste ce sont des centristes: libéraux ou marxistes réformistes (chiffres estimatifs). La social-démocratie est pour la voix parlementaire même sous un régime militaire et policier, d'ailleurs "attajdid" -le renouveau- autrefois p. communiste-leur chef a accepté d'être ministre de l'enseignement supérieur dans le premier gouvernement provisoire.

L'opposition de gauche est divisée, à cause de la clandestinité elle est essentiel lent active dans le syndicat, ouvriers et étudiants et dans les organisations de la société civile: droits de l'homme, femmes démocrates, avocats… Il ya une gauche qui a accepté de former des alliances avec les islamistes tel le parti ouvrier communiste tunisien et il ya la gauche qui combine avec le pouvoir et la bureaucratie syndicale puis une gauche radicale et revolutionaire en lutte sur tous les fronts et brandit le slogan, "ni islamistes ni RCDistes", la lutte est ouverte maintenant et elle est déclarée, la gauche caviar à l'affût de postes dans le gouvernement prochain en utilisant les voix du peuple, la gauche radicale cherche une base populaire pour faire la vrai révolution.

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Que est qui s passe depuis la fuite de Ben Ali ? Qui a le pouvoir maintenant ?

Le RCD dissout a toujours le pouvoir, les militaires d'abords, les conseillers imperialistes se sont arrangés à embellir la réputation du militaire qui a refusé de tirer sur la foule et c'est un atout pour la réaction car le chef des armées, R. Ammar est pro américain. Le ministère de l'intérieur malgré le limogeage de quelque têtes est resté le même et le peuple demande toujours la tête des criminels qui ont tiré sur la foule et qui ont donné les ordres. L'administration est aussi la même mis à part quelques figures mafieuses en relation directe avec Ben Ali, son épouse, Trabelsi et ses gendres, les autres ont retourné leur veste et parlent de révolution pour être à l'abri du slogan populaire "Dégage". Ces gens détestés par le peuple ont le soutien des français, des américains et de l'UE, en plus des émirs du golfe, d'ailleurs le gouvernement provisoire a déjà vendu la Tunisie au plus offrant.

Quelle sont les occasions : dangers de la situation actuelle ?

L'insurrection est en danger, l'élan révolutionnaire spontané risque de faiblir et finira par être étouffé, si la gauche évolutionnaire ne prend pas sa responsabilité en se mettant à l'avant garde des luttes actuelles qui explosent tout azimut, sans perspectives parfois. Les masses populaires veulent protéger leur insurrection -"révolution"-, comme elles disent, mais la réaction, les frères musulmans et l'opportunisme de gauche sont aux aguets, ces trois ennemis sont à l'affût, ils veulent récupérer les slogans de l'insurrection, mais le peuple résiste, il réclame le procès des figures importantes du pouvoir, il veut du travail, de la dignité, de la liberté, de l'équité entre les région, une meilleure distribution des richesses…

La situation sociale demeure très tendue: grèves, barrage des routes en signe de protestation, spéculation sur les produits de premières nécessités car les spéculateurs préfèrent négocier avec les libyens, flambée des prix, économie marche à 50%, attisement des querelles tribales et régionales par le gouvernement provisoire pour semer les troubles et justifier la répression et le couvre feu (on dénombre 300 blessés et 2morts dans les émeutes entre clans à Ksar, Helal, Metlaoui, Sbeitla, Jebeniana…), retour du fanatisme islamique …

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Réponses données par Mounir K, enseignant à Tunis, réponses spontanées sans document. Ce point de vue représente la majorité des syndicalistes de l'UGTT (union generale travailleurs tunisiens).

(AZ, Antifa Zürich, Antifa Basel)